La fibre optique devient un service public universel, à l’instar des réseaux d’eau potable ou d’électricité hier. Or si les opérateurs déploient rapidement leurs réseaux dans les zones urbaines, qu’en est-il des 158 communes rurales et des zones d’activités des Yvelines ?
Beaucoup de questions se posent après la décision de Pierre Bédier d’interrompre les marchés publics lancés sous la présidence de son prédécesseur, Alain Schmitz.
En ce qui concerne la desserte des communes rurales, le projet a été approuvé en 2012 par le Conseil départemental et les marchés de conception-réalisation et d’exploitation lancés début 2014. Selon le calendrier prévisionnel, les travaux de construction de ce réseau auraient dû commencer au début de cette année sous maîtrise d’ouvrage départementale.
L’objectif était d’éviter une fracture numérique entre communes rurales et communes urbaines en vertu d’un principe de solidarité territoriale, une façon aussi de rétroagir sur les opérateurs pour accélérer le déploiement dans les zones urbaines.
L’actuel président du Conseil départemental en a décidé autrement en interrompant la procédure d’attribution des marchés de conception-réalisation et d’exploitation après son élection en avril 2014 et en décidant de confier la maîtrise d’ouvrage à un syndicat mixte qui est encore en cours de constitution.
Il faut donc attendre et j’ignore si le calendrier du site de la Mission Très Haut Débit est toujours d’actualité.
Dans sa réponse à mon intervention, le Président a comparé le Très Haut Débit à l'assainissement des eaux usées dans les communes rurales qui n'est pas achevé au bout de plusieurs décennies... Pour ma part, je considère que cette comparaison méconnaît la révolution numérique en cours et n'a pas de sens.
En ce qui concerne les zones d’activités et les usagers publics, la création d’une régie a été votée par l’Assemblée départementale en avril dernier (elle a été créée le 28 mai 2015) afin de reprendre la gestion des réseaux des DSP 1 et 2 rachetés en même temps à Eiffage.
Pour ma part, je n’ai toujours pas compris l’intérêt de cette solution et en séance du Conseil départemental, je suis allé à l’essentiel en trois questions :
- Fallait-il interrompre prématurément la DSP 1 ? Pour moi, la réponse est non car le rachat anticipé de cette DSP1 signée en 2004 a coûté au Conseil départemental, si mes informations sont bonnes, plus de 10 millions d’euros alors que cette DSP fonctionnait très bien à la satisfaction des usagers et des deux parties avec un réseau de 223 km fin 2013. Mieux, elle dégageait des bénéfices qui permettaient au Conseil départemental de réinvestir environ 1 million d’euros par an pour l’extension de son réseau. Comme il restait une dizaine d’années à courir sur cette DSP, ce rachat nous a privés de 10 millions d’euros d’investissements supplémentaires que l’on aurait pu, par exemple, affecter à la desserte des lycées et collèges…
Au total, c’est une décision à 20 millions d’euros dont le seul vrai bénéficiaire est Eiffage qui cherche à se désengager de ce secteur d’activités pour se concentrer sur son cœur de métier qu’il maîtrise très bien comme on le voit sur le chantier du tramway T6. L’intérêt général, c’était d’aller au bout de cette DSP que Franck Borotra et son directeur de cabinet, Gilles Crespin, avait fort bien négociée.
- Que faire de la DSP 2 ? Sur ma proposition et sous la présidence d’Alain Schmitz, notre Assemblée avait pris la décision :
- de mettre un terme à la DSP2 lancée en 2008 car c’était un échec technique et commercial,
- de racheter le réseau à un prix convenable (8,3 millions d’euros), c’est-à-dire bien inférieur à la quinzaine de millions d’euros qui a été payée si mes informations sont exactes, compte-tenu des nombreux défauts du réseau relevés par les audits,
- d’en confier l’exploitation par affermage à un opérateur qualifié dès le 1er août 2014 pour desservir les entreprises à des conditions tarifaires accessibles aux TPE et PME, dans des conditions financières intéressantes pour le Conseil départemental avec un apport de 1 million d’euros pour la remise en état opérationnelle du réseau.
En juillet 2014, le président a pris la décision d’interrompre la procédure d’attribution de ce marché pour ensuite faire voter la création d’une régie en avril dernier.
- Pourquoi une régie ? C’est ma troisième question car nous avions écarté cette solution qui ne dégageait qu’un fort modeste excédent d’exploitation annuel (évalué à 110.000€) pour des investissements évalués à 5 millions d’euros. Une nouvelle étude aurait démontré le contraire, j’en ai demandé un exemplaire qui ne m’a jamais été communiqué. Si je me trompe, j’aimerais au moins en avoir la démonstration.
Pierre Bédier m’a répondu que l’intérêt d’une régie, c’est d’internaliser les marges au lieu de les laisser à l’entreprise privée.
Je suis d’accord sur le principe mais j’ai encore plus de mal à comprendre puisque cette régie va organiser une mise en concurrence pour confier à un ou des opérateurs privés la mise en service et l’exploitation partielle du réseau qui est aujourd’hui un réseau passif : quels sont les avantages par rapport à la mise en concurrence de 2014 si l’exploitation du réseau est tout de même confiée à une entreprise privée ?
En résumé :
On voulait faire mieux, moins cher et plus vite.
En termes de calendrier, c’est à l’évidence raté. Le réseau aurait pu être mis en service depuis août 2014 avec un catalogue tarifaire adapté aux besoins des entreprises, tandis qu’avec la régie le réseau de la DSP2 n’est toujours pas opérationnel et les entreprises attendent toujours si mes informations sont exactes.
En termes de coût, ce n’est pas mieux car le coût du rachat de la DSP2, sa remise à niveau et son exploitation par un nouvel opérateur n’auraient pas dû être supérieur à un montant de l’ordre de 13 millions d’euros après la négociation avec Eiffage (12 ? pour Eiffage et 1 pour le nouvel opérateur), pendant que la poursuite de la DSP1 aurait continué d’engendrer des bénéfices réinvestis dans l’extension et la modernisation du réseau.
Alors que l’on a dépensé environ 25 millions d’euros pour racheter les réseaux à Eiffage, et qu’il faut encore financer le démarrage de la régie… (si je me réfère aux chiffres de la page 147 du dossier de séance : une étude préalable de 68.000€, des versements de 200.000€, 800.000€ et 930.000€ soit 1.998.000€ !).
L’écart entre les deux solutions est donc très important, plus du double pour la solution en régie. Ce n’est pas une surprise, les études comparatives approfondies que le Conseil départemental avait faites avec l’appui d’un groupe de bureaux d’études spécialisé avaient démontré qu’une nouvelle DSP était la meilleure solution.
Il faudrait que la régie dégage de fortes marges dans les dix années qui viennent pour compenser un tel écart, tout en pratiquant des prix conformes au marché. Si tel est le cas, la création de la régie serait alors justifiée.
Monsieur le président, je ne suis pas sûr que vous ayez été très bien conseillé dans la gestion de ce dossier et je continue de regretter que vous n’ayez pas pris le temps d’auditionner la chef de la mission numérique avant son départ prématuré mi-2014. Déjà, en 2008, l’expérience et le savoir-faire de Gilles Crespin, le directeur de cabinet de Franck Borotra et l’artisan de l’excellente DSP1, avaient manqué au moment du lancement de la DSP2.
Je vous prie de croire, monsieur le président, que mon analyse n’est sous-tendue que par une préoccupation permanente et élémentaire : rendre le meilleur service public possible aux Yvelinois, au moindre coût. J’espère que ces réflexions vont pouvoir alimenter un débat serein et solidement argumenté.
Pour les raisons que je viens de vous présenter, je m’abstiendrai sur cette délibération mais je ne voterai pas contre car, par principe, je ne veux rien faire qui puisse encore retarder une solution.
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